Wednesday, February 20, 2008

Je suis ma fille

Van Gogh - La Femme d'Arles


Ma mère habite dans une résidence pour personnes âgées, depuis 4 ans environ. Avec l'âge, elle s'affaiblit de jour en jour, physiquement et mentalement. Il y a à peu près un an, la travailleuse sociale qui s'occupait de ma mère avait recommandé de l'inscrire sur la liste d'attente de l'Institut universitaire de gériatrie, parce qu'elle aura bientôt besoin de soins plus attentifs et peut-être même de surveillance constante si son Alzheimer s'aggravait. L'Institut, en plus des fonctions d'enseignement, de recherche et de traitement dans le domaine de la gériatrie, gère également une maison de retraite où les personnes âgées reçoivent des soins complets fournis par une équipe médicale multidisciplinaire sur les lieux [http://www.iugm.qc.ca/].
Consultée sur la question, ma mère avait accepté avec enthousiasme, parce qu'elle était inquiète de ses chutes fréquentes et de l'état de confusion dans lequel elle était souvent placée par ses oublis, ses hallucinations, son incapacité de raisonner,etc.

Il y a trois semaines, la travailleuse sociale m'appelle pour m'apprendre qu'une place va se libérer bientôt et que ma mère pourra avoir une chambre à l'Institut.

La communication de la nouvelle à ma mère a donné lieu à la tragi-comédie habituelle: Je ne veux pas déménager. J'ai mes amis et mes habitudes ici, comment peux-tu m'imposer un tel changement sans me consulter, etc.. Une semaine après, elle m'appelle pour me dire: Tu as raison, je serai mieux dans la nouvelle résidence, j'ai besoin d'être encadrée. Deux jours avant la date du déménagement, nouvelle crise: Non, je ne veux pas partir. Non, je ne t'ai jamais dit que j'acceptais. Pourquoi est ce que tu ne me préviens jamais à l'avance de ces choses, etc.


Mardi matin: Jour J. J'ai pris un jour de congé au bureau. Je me présente chez ma mère à l'heure convenue, mais - surprise! - elle avait complètement oublié et venait juste de se lever. Alors qu'elle se prépare, ma tante arrive et à nous deux, on l'a habillée, chaussée, poussée dans la voiture et hop, en cinq minutes, on est devant le foyer pour les aînés de l'Institut.

L'accueil est super chaleureux et la préposée, une infirmière nommée France, a été d'une patience infinie avec ma mère, répondant en souriant aux mêmes questions cent fois répétées: "Quand est-ce que j'aurai une chambre privée?" (Je ne peux vous le dire, mais ce ne sera pas long), "C'est quoi ce machin?" (le thermostat), "Et ça?" (le bouton que vous poussez pour appeler une infirmière), "Et quand est-ce que je pourrai avoir ma propre chambre?" (Ce ne sera pas très long), "Et c'est quoi ce truc sur le mur?" (le thermostat), "Qu'est-ce que c'est que ce bouton?" (c'est pour appeler une infirmière), etc.

France a essayé d'amadouer ma mère en lui expliquant que la chambre est en principe semi-privée, mais qu'elle a la chambre à elle pratiquement tout le temps, parce que la femme qui partage sa chambre part tôt le matin et ne rentre que tard le soir pour dormir. Peine perdue, toute la journée, c'est: "Quand est ce que j'aurai ma propre chambre?" "C'est vraiment lugubre ici, on se croirait dans un hôpital", "c'est trop déprimant toutes ces vieilles dames en fauteuil roulant", "quand est-ce que j'irai dans une chambre privée", etc..

Entre temps, je dois faire la navette entre la nouvelle résidence et l'ancienne pour mettre ses affaires dans des sacs et les lui apporter, les installer. Je dois aussi m'occuper de la résiliation du bail, des changements d'adresse, du transfert de la ligne de téléphone, etc..

Il faut également la rassurer, mais je ne suis pas très bonne pour ça. Elle dit, en regardant autour d'elle: Maintenant je sais que ce sera ma dernière place avant de mourir. Je réponds: Tu dramatises encore. Quelle différence entre ici et l'ancienne résidence? Quand on meurt, on meurt.

Elle me demande de venir la visiter tous les jours, parce qu'elle est angoissée, ce qui veut dire que je dois y aller après le bureau, alors que j'ai plein de contrats de traduction à faire à la maison (2e shift). Mais comment refuser?... Des tas de gens viennent la voir dans sa nouvelle chambre pour se présenter et lui souhaiter la bienvenue: les docteurs, les infirmières, etc... Elle me présente en pointant du doigt: "C'est ma mère!", puis voyant les sourires des gens, elle essaye de se corriger: "Je veux dire: Je suis ma fille!".

2 comments:

Anonymous said...

Ca doit etre eprouvant pour toi et pire pour elle.
C'est dans ces moments la que tu realises que la medecine c' est pas des mathematique et qu' il reste beaucoup de chose faire.

Sois forte.
Bon sinon pour le "Quelle différence entre ici et l'ancienne résidence? Quand on meurt, on meurt"
Tu as tout de meme un peu abuser la.
Quand je serai a l' hosto pres de la fin je t' appellerai pas ;)

Buddhist with an attitude said...

Je t'apporterai des oranges et je te les pèlerai, mais c'est à peu près tout. :-)