Sunday, December 07, 2008

Sex, Lies and Videotapes (version 2008)

Bon, le "sex", c'était pour capter votre attention, mais le reste est le bon titre pour mon billet d'aujourd'hui.

Comme tout le monde sait, le gouvernement conservateur minoritaire du Canada (dirigé par Stephen Harper) ayant fait preuve d'incompétence extrême dans son plan d'action contre la crise économique, l'opposition, en l'occurence le Parti Libéral et le Nouveau Parti Démocratique (NPD), a formé une coalition pour le renverser, avec l'appui du Bloc Québécois. La coalition a été placée sous la direction de Stéphane Dion, du Parti Libéral. Devant cette menace contre son gouvernement, le Premier ministre Harper a rapidement demandé la prorogation (le gel) de la session du Parlement et annoncé la préparation d'un nouveau plan économique moins con. La réponse à ce discours a été une vidéo de M. Dion, livrée avec une heure de retard aux studios de télévision et techniquement tellement mauvaise qu'elle risque de tuer son projet de coalition dans l'oeuf. Voyons ce qu'en disent les médias.



Stéphane Laporte du quotidien La Presse (un autre Stéphane, oui, suivez-moi bien, ne vous laissez pas distraire par tous ces Stephen-Stéphane) a fait la meilleure analyse du fiasco, ou comme moi, Stéphanie Boudhiste, j'appelle ce nouveau scandale, de l'affaire Videogate.

"Tous les commentateurs se sont scandalisés de la piètre qualité de la vidéo du discours de Stéphane Dion réagissant à l'adresse à la nation de Stephen Harper. Qui a réalisé cette oeuvre? Qui était derrière la caméra? Michael Ignatieff? Pierre Falardeau? Stevie Wonder? Cessez vos sarcasmes, ignares que vous êtes! Comme tous les grands génies créateurs, Stéphane Dion est en avance sur son temps. Jean-Luc Godard, aussi, était un incompris.

Stéphane Dion a produit la première vidéo politique d'avant-garde de l'histoire. Et il peut en être fier.

Toute la facture du tournage fait très téléréalité. Comme si une caméra motorisée captait le message. Comme si personne ne la manipulait. Il n'y a que Dion et nous. Pas d'intermédiaire. Comme si Stéphane était en train de «chatter» sur un site de rencontres. Avec sa petite caméra branchée sur son ordi. Stéphane veut nous séduire. Et il le fait à la 2008. C'est raw. C'est rough. C'est New York. C'est branché.

Les critiques se sont, encore une fois, mis un doigt dans l'oeil.

On reproche au clip de débuter sèchement, sans aucun préambule. Voyons donc! Quelle idée moderne d'entrer directement dans le vif du sujet! Pas de fausse mise en scène. Pas de pause affectée. De «Chers Canadiennes, chers Canadiens» interminables! Dion débute son discours comme si on venait de zapper sur lui. Comme si on arrivait au moment important. Il sait que l'heure est grave. Que chaque seconde compte. Et il nous épargne les formules d'introduction toutes faites. Il nous saisit et capte notre attention. Quel innovateur.

On a aussi attaqué le teint rouge de leader de la coalition. Franchement, c'est simple à comprendre. Stéphane Dion est rouge parce qu'il est libéral. Stéphane Dion est rouge parce qu'il fulmine contre l'inertie des conservateurs. Stéphane Dion est rouge parce que le Canada est dans le rouge. Cette coloration est pensée.

Subtilité qui vous a sûrement échappé, à la fin de la vidéo, Stéphane Dion est rendu vert. Parce que la solution à tous nos problèmes ne peut-être qu'environnementale. Enfin un politicien qui ajoute du subliminal à son propos. Si son visage avait été bleu ou jaune, j'aurais pu comprendre qu'on ne comprenne pas, mais rouge et vert, à quelques jours de Noël, c'était facile à décoder.

Comme Hitchcock, Fellini ou Bergman l'ont fait pour le septième art, Dion a révolutionné le clip politique grâce à un cadrage particulièrement original. Son gros plan favorisant le regard rappelait les westerns spaghetti de Sergio Leone. Et l'analogie est brillante. Car le drame de la Chambre des communes n'est rien d'autre qu'un western spaghetti, la coalition nous rappelant Le bon, la brute et le truand. Avec Stéphane, dans le rôle du Bon, Jack (Layton, chef du Nouveau Parti Démocratique), dans celui de la Brute et Gilles (Duceppe, chef du Bloc Québécois) dans celui du Truand. Stephen Harper incarnant la mouche qui tourne autour d'eux. En sortant son cou et son menton du cadre, les Canadiens ne pouvaient que remarquer les yeux à la Clint Eastwood de Stéphane Dion. Un regard de héros. Un regard qui tue.

Trop souvent la cravate d'un homme politique nous déconcentre de son propos. Sergio Dion a réglé le problème. La cravate n'est plus dans l'image.

Le clip est légèrement hors foyer, et ça aussi c'est savamment réfléchi. Le message est simple: tant que Stéphane Dion ne sera pas premier ministre, nous vivons dans un flou économique. Seul lui peut faire la mise au point. Seul lui peut faire disparaître l'ambiguïté de notre existence.

Vrai, la vidéo de Stéphane Dion est arrivée en retard à Radio-Canada, mais vous comprenez maintenant pourquoi. Reproche-t-on à Coppola d'avoir livré Le Parrain en retard? Retournez vite voir ce chef-d'oeuvre sur YouTube, maintenant que vous êtes en mesure d'en saisir toutes les subtilités. Profitez-en pour revoir aussi la vidéo de Stephen Harper, vous constaterez à quel point elle est plate, fade, sans aucune recherche artistique. Un plan moyen fixe, montrant deux feuilles sur son bureau qu'il ne consulte jamais. Derrière lui, des volets fermés, comme s'il se cachait pour faire un mauvais coup. Aucun zoom avant, aucune proximité. Harper garde ses distances avec le peuple. Tandis que Stéphane se colle sur nous. Le plan est tellement serré qu'il est prêt à nous «frencher». Ça, c'est de la passion. Stéphane aime son Canada.

Riez, riez, les Jean Lapierre, Michel C. Auger, Vincent Marissal et autres, quand Stéphane Dion ira chercher sa palme d'or à Cannes, c'est lui qui rira le dernier. Malheureusement, on ne le verra pas, car sa bouche sera hors cadre."

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