Friday, April 10, 2009

De la misère du colonialisme culturel


Saviez-vous qu'au Texas (évidemment), une députée du Parti républicain a demandé que les ressortissants d'origine asiatique de cet État adoptent des noms plus faciles à prononcer pour les "vrais" Américains. Le site Think Progress en parle (http://thinkprogress.org/2009/04/09/brown-asian-names/):

On Tuesday, State Rep. Betty Brown (R) caused a firestorm during House testimony on voter identification legislation when she said that Asian-Americans should change their names because they’re too hard to pronounce: 

“Rather than everyone here having to learn Chinese — I understand it’s a rather difficult language — do you think that it would behoove you and your citizens to adopt a name that we could deal with more readily here?” Brown said.

Brown later told [Organization of Chinese Americans representative Ramey] Ko: “Can’t you see that this is something that would make it a lot easier for you and the people who are poll workers if you could adopt a name just for identification purposes that’s easier for Americans to deal with?”

Yesterday, Brown continued to resist calls to apologize. Her spokesman said that Democrats “want this to just be about race.”

Pour les Vietnamiens d'un certain âge (le mien, en l'occurence), l'histoire éveille beaucoup de souvenirs empreints des relents du colonialisme français. Quand j'étais petite,  je fréquentais des établissements scolaires français, comme la majorité des enfants de la classe bourgeoise aisée de Saigon. Nous suivions un régime d'éducation identique au régime scolaire appliqué en France et nous avions des professeurs français, venus directement de la France, qui nous enseignaient l'écriture et l'arithmétique, bien sûr, mais aussi la littérature, la géographie et l'histoire de la France. Ce n'était que vers les dernières années d'étude (en terminale, je pense) que nous apprenions l'histoire et la géographie du Vietnam, dans des classes hebdomadaires d'une heure. 

Bien entendu, pour nos profs français, il n'était pas question d'essayer de se rappeler ou même de prononcer nos prénoms vietnamiens (je dis prénoms, parce que tout le monde sait que tous les Vietnamiens sont des Nguyen). Il fallait donc que les élèves adoptent un prénom, sinon français, du moins européen, pour leur faciliter la tâche. Dans les écoles tenues par des prêtres ou des soeurs catholiques, c'était chose faite depuis belle lurette, chaque élève devant se doter d'un nom de saint(e) quelconque. Pour les élèves d'établissements laïcs, c'était plus problématique.  Pour moi qui étais déjà une fana du cinéma, le choix était clair: je voulais m'appeler Dorothée, comme la Dorothy du Wizard of Oz, qui jouait dans les salles de cinéma à ce moment là. Mais le nom ne plaisait pas à mon père.

Finalement, on a opté pour Alice, comme Alice au pays des merveilles, qui passait aussi à l'écran à l'époque. Ce n'était qu'à l'âge de 26 ans, lorsque j'ai eu mon premier emploi de traductrice à l'ONU à Bangkok, que j'ai finalement cessé d'utiliser le prénom d'Alice. Maintenant encore, lorsque je rencontre d'anciens camarades de classe, certains m'appellent encore de ce nom et il me faut chaque fois quelques secondes pour me replacer dans cette ancienne identité.  Je sais, en parlant avec des amis africains, que les anciens colonisés de l'empire français partagent tous le même héritage imposé: les prénoms français,  "Nos ancêtres, les Gaulois" et les fables de la Fontaine.

Pour ma part, je me réjouis de cet héritage, qui m'a permis d'acquérir sans douleur une belle langue difficile, le culte du rationnel et de la logique cartésienne et une grande culture générale dont je ne cesse de découvrir les trésors dans mes rapports avec les nouvelles générations, surtout nord-américaines.

Pour l'autre côté de la médaille: l'humiliation du non-Blanc, la conviction imposée que son identité ethnique et culturelle est inférieure à celle du Blanc et la confirmation de tous côtés que le hasard de sa naissance lui impose un modèle de pensée, d'esthétique et de comportement qu'il doit essayer d'émuler sans jamais espérer d'atteindre puisqu'il ne sera jamais Blanc, tout ça c'est pour un autre billet. Mais je peux vous dire déjà que la bataille du féminisme est similaire. Pour des raisons historiques et culturelles, le masculin est la norme et c'est à la femme d'essayer de satisfaire à des critères qui au départ pipent les dés en faveur d'un idéal intrinsèquement inatteignable, puisque la non-homme ne sera jamais l'homme, tout comme le non-Blanc ne sera jamais le Blanc.

7 comments:

khoi said...

Mon père était élève de l'école Jean-Jacques Rousseau, et me narre souvent ses souvenirs de la période truong` Phap'.
Il a continué dans la même "voie" puisqu'il a enseigné le français par la suite...

Buddhist with an attitude said...

Khoi, le scénario pour la jeunesse dorée de Saigon était le suivant: les filles allaient à Marie Curie ou au Couvent des Oiseaux et les garçons allaient à Jean-Jacques Rousseau. Ils se rencontraient aux boums (comme on appelait les partys à l'époque)et se mariaient et faisaient des rejetons qui étaient envoyés à leur tour à Marie Curie ou à Jean jacques Rousseau, etc. Quand j'avais terminé mes études à Genèeve, mes parents voulaient me faire revenir au Vietnam pour épouser un bon ingénieur ou docteur ex-JJR et recommencer le cycle, mais - Dieu est bon - j'ai préféré suivre le Plan B.

khoi said...

Ah oui, ces fameuses "boums" ou "surprises parties" dont mon père parlait.
Malheureusement (?), ma mère n'ayant pas fait Marie Curie, étant ni ingénieur ni docteur, du coup, le rejeton que je suis n'a pu "recommencer le cycle". Mais pour être honnête avec vous, quand je vois cette communauté "priviégiée" en France, je n'en avais aucune envie ;-)

kca said...

Ca me fait penser que pour l' anniversaire de la poupee Barbie (50 ou 60 ans) je voulais ecrire un post sur les ravages que cette poupee a fait dans le monde, occident inclus, aupres des jeunes filles, et des garcons aussi (ils veulent tous des blondes).

Mon idee est que la poupee barbie est un des principaux vecteur indirect de la colonisation culturelle, voir des gamines noires et asiat coiffer les cheveux blonds de leur poupee, et organiser des flirts avec Ken...Pfff, Enfin tu vois ou je veux en venir.
Et preuve que ca marche: elles font tout pour avoir des cheveux raides.

Pour revenir aux prenoms, c' est marrant car tous mes neveux ont des prenoms ricains, et lorsque j' ai dis a ma soeur le prenom de mon fils, il y a eu comme un grosse deception par son silence. Bref tu me diras qu' on se marre comme on peut.

Anonymous said...

Billet fort intéressant et en attente du prochain.
De nos jours, au Lycée Français Alexandre Yersin à Hanoi, où 40% des élèves sont vietnamiens, les professeurs les appellent par leur prénom de naissance ... mais la prononciation laisse un peu à désirer.
Pas.

Buddhist with an attitude said...

kca, la poupée Barbie fait non seulement de la propagande pour les canons de beauté occidentaux, mais aussi apparemment pour l'idéal féminin photoshoppé des revues de mode: il parait que les petites filles d'aujourd'hui se trouvent trop grosses et veulent suivre un régime dès l'âge de 6 ans parce qu'elles se comparent à Barbie. De mon temps (j'arrive pas à croire que cela puisse sortir de ma bouche!), les poupées étaient soit des poupons asexués, soit des représentations de petites filles "normales", avec des corps de petites filles.

Buddhist with an attitude said...

"en attente du prochain". Anonymous, ne dites pas ça, parce que cela met trop de pression sur moi et le prochain billet sera tout guindé et prétentieux, parce que je vais essayer de faire l'"intéressante".
Vous êtes étudiant ou enseignant au Lycée Yersin de Hanoi? Ou parent d'étudiant? Il y a encore des écoles françaises au Vietnam?