Monday, September 22, 2008

Jet Li Le Généreux


Jet Li, maître kung-fu, apprenti philanthrope, par Sylvie Kauffmann
http://tinyurl.com/4pyrrt

A l'heure où Wall Street saigne, en ces temps de folles nationalisations outre-Pacifique et de privatisations mûrement pensées dans l'empire du Milieu, Jet Li fait une pause. A 45 ans, celui que l'on connaît vulgairement en Occident comme le roi du kung-fu, mais qui est en réalité le dieu du wu shu, a décidé d'interrompre sa carrière cinématographique pendant un an, pour se consacrer à plein temps à une activité apparue au Moyen Age en Europe et encore balbutiante en Chine : la philanthropie.

Ecouter Jet Li en T-shirt blanc, veste de coton noire et espadrilles chinoises évoquer avec passion son nouveau rôle dans l'univers de la générosité est une expérience intéressante, parce que la philanthropie, après tout, n'est pas seulement un passe-temps de riches, c'est aussi une idée occidentale. Et finalement, ce que raconte Jet Li, en marge d'un forum mondial de PDG organisé par Forbes à Singapour, c'est un peu une histoire de contrefaçon positive, une lucarne sur ce que l'on arrive à bâtir lorsque l'on emprunte à l'Ouest ce qu'il sait faire de mieux et qu'on le greffe sur le potentiel tout neuf de l'Orient.

Le 26 décembre 2004 au matin, Jet Li était en vacances aux Maldives, avec sa femme et ses filles, lorsque la monstrueuse vague du tsunami déferla sur l'hôtel dans lequel il se trouvait. Le bébé qu'il tenait dans ses bras fut emporté puis sauvé par une femme providentielle. On sort rarement indemne d'une telle expérience, et l'invincible Jet Li n'a pas fait exception. Quelques années auparavant, la crise financière qui avait secoué l'Asie l'avait déjà fait réfléchir ; le tsunami fournit le déclic. "Quand je suis sorti du ventre de ma mère, dit-il, j'étais tout nu et j'ai crié, les poings en l'air : "Je veux tout ! Je veux un nom, je veux la richesse, le pouvoir !" Mais quand je mourrai, je serai à nouveau tout nu, et je n'aurai plus rien."

Dans son dernier film, Le Royaume interdit, Jet Li est un guerrier kung-fu redoutable et silencieux. Dans la vie, c'est un gentil qui parle anglais avec un inimitable accent chinois ("Djè-lii", dit Jet Li en se présentant) et dont le visage s'illumine en une fraction de seconde lorsqu'il sourit de toutes ses dents. Il avait 8 ans lorsqu'il s'est mis aux arts martiaux, puis, de 11 à 16 ans, a voyagé à travers le monde au sein d'une compagnie chinoise d'arts martiaux. A 17 ans, il a tourné dans son premier film et ne s'est jamais plus arrêté. Jusqu'à aujourd'hui.

Jet Li est bouddhiste, mais n'a rien étudié d'autre que le wu shu, alors, pour la philanthropie, il est allé à la source du savoir. "Pour créer une ONG du XXIe siècle, j'ai tout appris des Américains. Je suis allé voir la Fondation Ford, la Fondation Rockefeller, je suis allé à Harvard, puis je suis allé à Genève... Mais moi je suis fabriqué en Chine, j'y connais plus de monde : c'est là qu'il fallait que je commence."

En 2007, l'acteur crée One Foundation, adossée à la Croix-Rouge, qui se veut à la fois un fonds d'intervention d'urgence pour les catastrophes et une plate-forme pour la multitude d'ONG naissantes. Pêle-mêle, il parle des 100 millions de yuans (10 millions d'euros) collectés en sept jours, dont la moitié par Internet, auprès d'un million de personnes, après le tremblement de terre du Sichuan, puis des enfants de la nouvelle bourgeoisie chinoise qui ont la vie si facile et qui disent : "Oui, je donnerai quand je serai millionnaire." "Mais non ! A 5 ans, on peut déjà donner, un tout petit peu ! Just a lidol bit !"

Mais Jet Li parle surtout de ce sacré "bisness modol", le modèle économique qu'il veut trouver pour les ONG et les fondations privées chinoises, avec l'équipe de quinze professionnels dont il s'est entouré pour maîtriser son enthousiasme un peu brouillon. "Vous, en Europe, vous avez quatre cents ans d'expérience philanthropique. Aux Etats-Unis, ils ont plus d'un siècle d'expertise. Mais regardez la Chine, ce qu'ont été les cent dernières années pour elle !" Son idée à lui, c'est de prendre le "disque dur" de la philanthropie tel qu'il a été mis au point en Occident pour y intégrer le "logiciel" qui tiendra compte de la culture asiatique, de la tradition de générosité familiale, de l'exigence de discrétion. A sa demande, des professeurs de l'université Tsinghua, la meilleure de Chine, planchent sur l'élaboration d'un projet de loi sur la philanthropie.

A sa manière, Jet Li profite d'une tendance qui s'accélère en Asie depuis cinq ou six ans. Avec la hausse du niveau de vie et l'explosion du nombre de millionnaires, provoquées par la croissance économique, la philanthropie séduit de nombreux riches, d'autant plus que les inégalités se creusent. Derrière Li Ka-Shing, l'homme le plus riche d'Asie, qui finance depuis Hongkong d'importants projets éducatifs et sociaux, a émergé une génération d'hommes d'affaires philanthropes. L'Inde a aussi ses mécènes. Jet Li, lui, veut déjà aller plus loin et recruter les classes moyennes. Dès qu'il aura son "bisness modol".

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